L'avenir de mon pigeon

Considérations générales: le mythe de la "belle liberté"


Les pigeons sont des oiseaux qui ont été domestiqués et il y a plusieurs milliers d'années, et qui pendant les siècles passés ont été abandonnés en plusieurs vagues. Or la domestication est irréversible et beaucoup d'ornithologues sont d'accord sur ce point avec moi. De ce fait le pigeon des villes et un animal domestique abandonné qui a une forte attraction pour l'être humain, surtout parce qu'il continue à dépendre de lui pour sa nourriture. Ils ont aussi une forte tendance à la domesticité et à l'imprégnation. 


Sur certains sites web on peut lire que ce sont des animaux "liminaires", donc des animaux qui se sont rapprochés de l'être humain. C'est exact mais chez les pigeons, cela a une seule raison, et c'est qu'ils sont restés domestiques. Attention ne pas confondre... domestique n'est en aucun cas synonyme de "animal de compagnie". Domestique c'est l'antonyme de "sauvage", donc un animal qui depuis son apparition sur cette planète n'a jamais été touché par l'être humain, ni rendu dépendant de lui, ni modifié génétiquement, ni exploité par lui (tout ce qu'on a fait avec les pigeons en fait).


L'imprégnation commence depuis tout bébé.

Il y a des spécialistes qui conseillent d'élever un bébé à la main sans avoir le moindre contact avec lui. Je dois dire que ça me choque terriblement!!! Comment peut-on nier à un bébé ce dont il a besoin  de ses parents à part la nourriture : leur présence et leur affection. Je crois qu'on doit être un monstre pour avoir le cœur assez froid pour pomper de la pâtée dans son jabot sans jamais lui dire un mot ou lui faire le moindre câlin. Le laisser grandir dans une solitude indicible. Je n'ai jamais essayé cette méthode et je suis intimement convaincue que de cette façon on crée des pigeons qui sont totalement asociaux, qu'ils ne pourront jamais réellement s'intégrer dans un groupe, car malheureusement ils ne connaissent pas "l'autre", humain ou pigeon. À mon avis quand on trouve un bébé pigeon l'imprégnation est inévitable.


On peut bien sûr aider un pigeonneau imprégné de l'être humain à retourner vers ses sources et à devenir un pigeon lui-même. Et à prendre part à la vie d'un groupe de pigeons comme il se doit. On le fait régulièrement ici au refuge, parfois le résultat c'est que le pigeon oublie complètement l'humain, et parfois ils restent accrochés entre deux mondes : ils participent à la vie sociale du groupe, ils se mettent en ménage avec un (e) congénère, mais continuent à chercher le contact avec l'humain dès que celui-ci apparaît dans le pigeonnier. Et puis il y a la dernière catégorie : ceux pour qui toute tentative de réconversion est venue trop tard. Ceux qui pour le reste de leur vie, chercheront à socialiser et même parfois se mettre en ménage avec un être humain. Tout cela est très lié à l'âge : la désimprégnation et un succès dans 99 % des cas pour des pigeonneaux jusqu'à l'âge de 6 semaines à 2 mois, puis ça descend très vite. A 4- 6 mois c'est déjà beaucoup plus difficile, à 9 mois-1 an, ça devient quasiment impossible. Surtout une fois la maturité sexuelle installée, on peut déjà parler d'un petit miracle quand on arrive à les convertir en un vrai pigeon qui choisit un(e) vrai partenaire de vie de sa propre espèce.

En ce qui concerne remettre un pigeon élevé à la main en liberté dans les rues d'une ville... Mon opinion là-dessus est catégorique: NON. 

À moins qu'il ne soit fidélisé de façon professionnelle dans un pigeonnier contraceptif garanti éthique, et où les pigeons sont nourris - et encore, je ne suis pas trop pour, il y a plein d'arnaques dans ce secteur...

Un pigeon élevé par des humains, donc "imprégné" ou même "humanisé" et ensuite remis en liberté n'a quasiment aucune chance de survie. 

*Il se retrouvera SDF du jour au lendemain, il sera chassé de partout.

*Il connaîtra la faim, la soif, la peur, tous les jours de sa courte vie.

*Il sera confronté à tous les dangers de l'enfer de la ville: captures suivies de gazage, pics anti-pigeons, empoisonnements, prédateurs.

*S'il ne meurt pas en bas-âge, son espérance de vie est de 4 ans maximum, alors que bien soigné, il peut vivre jusqu'à 15-20 ans.

*S'il devient malade, ou se blesse, et qu'il ne trouve pas "la bonne personne" qui le sauvera, il agonisera et mourra seul dans les rues froides de la ville.


Je sais très bien que je vais à contre-courant de tous ceux qui glorifient le mythe la liberté, les adeptes de "Les ailes sont faites pour voler" et autres  romantiques pleins de bonne volonté, et qui sont aveuglés par des émotions spirituelles et émotionnelles qui n'ont absolument rien à voir avec la réalité des choses. Et la réalité c'est que ce pigeonneau il n'a jamais connu ses parents biologiques. 

Dans la nature (si on peut appeler le bitume de la ville "nature") quand le pigeonneau a entre 3 et 5 semaines, la maman va répondre. Elle va s'occuper uniquement de sa prochaine nichée en formation. C'est maintenant le mâle qui s'occupera de lui. C'est le moment où ce pigeonneau commence à exercer ses ailes pour voler vers sa destinée. Son papa lui enseigne tout ce qu'il doit savoir : où trouver à manger, où trouver à boire, il lui apprend qu'il doit se méfier des prédateurs humains et non humains, quels endroits il peut visiter et quels endroits il doit éviter. Il fera d'office partie d'un groupe où, très jeune, il devra déjà défendre ses intérêts pour rester en vie et pour être accepté. 

Qui va lui enseigner tout cela? Sommes-nous ses parents biologiques ? Même si nous le "désimprégnons", est-ce qu'il va pouvoir se débrouiller en totale liberté ? Est-ce que le groupe où nous prétendons l'introduire l'acceptera? Quand on tient compte du fait que 70 % des jeunes pigeons élevés par leurs parents biologiques meurent avant l'âge de 3 mois en ville, quels seront ses chances de survie , lui, qui n'a rien appris

Pour vous donner un exemple, les nouveaux pigeons qui arrivent dans notre refuge ont besoin d'un certain temps pour s'adapter à leur nouvel environnement. Les premiers jours ils sont nerveux, désorientés, peureux. Et ça dans des pigeonniers et des volières de toute sécurité et avec nourriture à volonté!!! Même les jeunes pigeons qui passent de la volière des jeunes vers la volière des adultes sont perturbés et peureux les premiers jours, je les garde bien à l'œil pour être sûre qu'ils s'alimentent correctement et qu'ils s'intègrent bien au groupe. Parfois il faut les remettre chez les jeunots et retenter quelques semaines après, quand ils ont déjà plus d'aplomb. Je n'arriverai jamais à m'imaginer le désarroi d'un jeune pigeon élevé à la main, qui a connu le confort et l'amour d'un foyer aimant, quand tout à coup il se retrouve dans un environnement qu'il ne connaît absolument pas, qui doit certainement l'effrayer terriblement, et où il n'a aucun repère. Les adeptes du "mythe de la liberté" considèrent sans doute comme une vieille pédante sentimentale...or je me base sur mon expérience de trente-deux ans de sauvetages (et sur les nombreux témoignages de personnes qui ont relâché leur pigeonneau et qui l'ont regretté amèrement par après. 

Voilà les bonnes questions à se poser, même si croyez que les conditions de la libération sont optimales.

Je demanderai à tous ceux qui se trouvent devant ce dilemme  de réfléchir de façon consciencieuse sur la décision à prendre. Car, ne l'oublions pas "les ailes sont faites pour voler"... Une fois la cage ou le carton ouvert, ce petit être que vous avez sauvé et choyé s'envolera et sera sans doute devenu irrécupérable. Plus de marche arrière possible dans la plupart des cas. 

Un simple petit geste fait parfois la différence entre la vie et la mort.


Maman...Aide-moi!

Maman...pourquoi m'as-tu abandonné?

Maman...j'ai tellement faim...